2.1. Le ciel ou la terre ?
2.2. Une société athée ?
2.3. Le monde : une illusion ?

2.4. Chakkarai et Jésus
2.5. Sen, tu connais ?
2.6. Sen et Jésus
2.7. Le diamant éternel
2.8. Tolérance spirituelle
2.9. Accueil ou relativisme ?
2.10. Religions connues ou quêtes récentes ?

2.11. Ce que j'ai reçu des quêtes spirituelles
2.12. Le Tao, quelle merveille !

2. Rencontres

2.1. Le ciel ou la terre ?

Dieu ou le monde ? Dieu et le monde répond le philosophe américain Ken Wilber. Il est, selon lui, extrêmement dommageable de fonctionner majoritairement ou totalement dans une seule dimension. Ceux qui ne regardent que le ciel risquent fort de tomber dans une "répression ascétique", "un déni, une peur et une haine de tout ce qui est du monde, un déni de la vie". Pour atteindre le ciel, ces gens de la montée sont prêts à négliger ce monde-ci jusqu'à le laisser mourir : il ne saurait que les décevoir.

Quant aux gens de la descente, ceux de l'intérêt absolu pour ce monde-ci, ils risquent de se croire présents avec amour à notre terre, alors qu'ils y sont en fait totalement submergés ou même noyés. C'est là un "réductionnisme cosmique" qui mène à une matière coupée de sa source. On croit pouvoir sauver l'inférieur en tuant le supérieur. On se dit plein de compassion pour un monde que l'on est, en réalité, en train de tuer. Les gens de la descente "détruisent ce monde-ci pour la simple raison qu'il est leur seul monde".

Ces deux catégories de personnes sont dangereuses à cause de leur démarche trop unilatérale qui les conduit soit à l'évanouissement céleste, soit à la construction d'une terre "plate", privée de sa vie fondamentale.

S'évader ou s'enterrer, est-il possible de sortir du dilemme ?

D'après Ken Wilber

"C'est un ciel un peu bas", remarquait Teilhard de Chardin, à propos de ceux qui s'investissent dans le seul terrestre comme dans une religion.
Son contemporain oriental, Sri Aurobindo, n'était pas plus tendre lorsqu'il écrivait à propos de ceux qui se veulent spécialistes du céleste : "Ce ne sont pas des évadés qui sauveront le monde".

2.2. Une société athée ?

Ken Wilber, philosophe états-unien d'Amérique, parle de "terre plate" (flatland) parce qu'il se montre extrêmement sévère pour les adeptes de la seule immersion absolue dans le monde visible à l'exclusion de l'invisible. Ils prétendent aimer ainsi la terre d'un grand amour alors qu'ils sont en train de s'y enterrer en s'identifiant à elle seule. Ils souffrent de "réductionnisme cosmique". Ils vont à la matière, mais à la matière coupée de sa Source. Ils pensent sauver l'inférieur en tuant le supérieur. Wilber les accuse de faire étalage d'une grande compassion pour ce monde, un monde qu'ils sont pourtant occupés à détruire. "Ils détruisent ce monde-ci pour la simple raison qu'il est leur seul monde".

Question : d'un point de vue collectif, une société sans aucune transcendance est-elle viable ? Peut-elle, immergée en elle-même, sans aucun recul transcendant, assurer la cohésion de ses membres sur une longue durée ? La proposition d'une spiritualité séculière pour une société séculière n'est-elle pas un luxe que nous pouvons aujourd'hui nous permettre parce que nous vivons sur la lancée religieuse passée ? Mais pour combien de temps ? La vitesse acquise ne va-t-elle pas ralentir pour atteindre sa fin ?

La parole a le tonus de son origine. L'action aussi. Il est étonnant de voir comment des soulèvements colossaux de l'humanité sont retombés ou se sont égarés. Au lieu de conserver, améliorer ou amplifier la puissance de leur élan initial, combien d'expériences-sommet ne sont-elles pas malheureusement retombées ? Et l'utopie ne se révèlerait peut-être pas irréaliste si l'on y intégrait quelque transcendance proportionnée au but recherché. Une action venue des altitudes pour une incarnation des altitudes ? Mais il faudrait alors abandonner ce que Wilber appelle "le cauchemar monochrome".

D'après Ken Wilber

2.3. Le monde : une illusion ?

De formation scientifique, professeur universitaire de chimie, Dhanjibhai refuse de voir dans le créé, une duperie. Contrairement à un courant important de sa culture, il ne considère pas du tout l'existence du monde comme une illusion. Celui-ci n'est pas le fruit de l'ignorance. Il est l'expression spontanée de l'amour de Dieu. Et un Dieu réel ne saurait être source d'un monde irréel. Le monde n'est donc ni illusoire, ni fantomatique. Il est le fruit du désir de Dieu.

Dieu n'est pas identique à sa création. Cependant, s'il en est indépendant, il n'en est pas séparé. Le créé est un milieu divin ou, plus précisément, "le milieu de la volonté de Dieu". Il est la maison de Dieu, son vêtement et son ornement. La création est bonne. Il ne faut pas la mépriser mais "en user sans en mésuser".

Dieu est un donneur. Il s'est donné à l'univers. Il ne s'est pas contenté de lancer l'univers dans l'existence puis de s'en tenir à distance. Il en est resté le protecteur, le préservateur et le but. Il n'est ni passif, ni immobile, ni lointain, mais il est présent et actif. Aussi la nature nous parle-t-elle de Dieu dont elle est "le grand stock de bonté, de beauté, de poésie et de mystère". Mais attention !
Il ne s'agit pas de s'arrêter aux énergies divines aux dépens de Dieu lui-même.

Ce texte résume la réponse d'un penseur chrétien de l'Inde au XXème siècle.

2.4. Chakkarai et Jésus

Vengal Chakkarai est un protestant indien (1880-1957). Il a tenté de renouveler le Christianisme en le libérant de son passé européen et en le mettant en rapport avec les traditions hindoues. Pour les théistes non chrétiens occidentaux comme pour les vedantins orientaux, le Divin est, par exemple, parfait, infini, immuable, impassible. Il ne peut pas souffrir car la souffrance serait chez lui le signe d'un manque.

Selon Jésus, Dieu est avant tout un Père. Il ne peut donc pas demeurer impassible devant le malheur des hommes. Tout au contraire, il le bouleverse. Et, s'il n'était pas bouleversé, il ne serait pas Dieu. Quittant la philosophie pour l'Evangile, le disciple de Jésus accepte l'immense perfection de Dieu aussi bien que son immense souffrance.

Comment Chakkarai réconcilie-t-il ces deux opposés ? En proposant une nouvelle définition de la perfection. Le critère fondamental de la perfection devient alors l'amour, le don de soi. "Plus un homme est grand, plus grands sont son amour et sa souffrance". Ainsi en est-il de Dieu. De telles découvertes sur Dieu étaient impossibles avant Jésus. Il est "l'ultime cour d'appel" en matière de mystère de Dieu.

Yvon

2.5. Sen, tu connais ?

Keshab Sen est un indien peu banal du XIXème siècle. Il était sans cesse en mouvement. C'était un découvreur permanent. Il fait ses études supérieures en Inde, mais dans une université anglaise. Il y découvre le protestantisme. Du coup, il perd confiance dans la dévotion hindoue aux "idoles". Il évoluera plus tard sur ce point et déclarera que statues et images sont respectables si elles sont vues comme de multiples expressions d'un Être unique.

Et voici qu'un jour une voix intérieure lui dit : "Prie et tu seras sauvé. Ton caractère s'améliorera. Tu recevras tout ce qui te manque." Il se retrouve partagé entre sa propre tradition et celle qui lui arrive de l'Occident. Il se lance dans la lecture de la Bible et on l'accuse d'être devenu chrétien. C'était une accusation très grave et très dangereuse : il risquait d'être totalement rejeté par sa caste et par sa famille.

Meneur et organisateur, dès ses 18 ans, il commence à créer diverses associations, spirituelles, culturelles ou sociales, au service des défavorisés (dont les femmes). La plus célèbre et la plus durable sera le "Bfahmo Samaj" ou "Assemblée Divine". On y renonce à sa caste et aux liturgies "idolâtres". Cependant, on y étudie à la fois la Bible et les Écritures hindoues. L'association et son fondateur deviendront célèbres jusque dans les hameaux les plus reculés.

Un beau jour, dans le grand hall des conférences de Calcutta, Sen entame une série d'exposés annuels qui révèlent son évolution personnelle. Dès sa première intervention, il déclare clairement que Jésus est devenu le centre de sa vie. "Jésus, affirme-t-il, est le plus grand et le plus authentique bienfaiteur de l'humanité". Et il fait l'éloge des missionnaires chrétiens. Il prêche en faveur d'une harmonie anglo-indienne. Il rappelle que Jésus était asiatique. Résultat immédiat : de violentes protestations dans les milieux hindous qui estiment que Sen est en train de devenir chrétien.

D'où un second discours sur "Les grands hommes" : Luther y est cité... Mais pas Jésus ! Dans un autre discours, il prend du recul vis à vis du courant le plus répandu de l'hindouisme en affirmant que le monde est bien réel et que l'âme humaine est différente du Divin. Ainsi, Sen restera toute sa vie inclassable, aussi bien pour les hindous que pour les chrétiens.

Arrive alors pour lui un événement capital : il part pour la Grande Bretagne. Il y découvre un monde totalement différent de celui qu'il imaginait. "Le résultat de ma visite en Grande Bretagne, dira-t-il à son retour, est que j'y suis parti comme indien et que j'en suis revenu comme indien confirmé. J'y suis parti comme théiste et j'en suis revenu comme théiste confirmé".

Sensible jusque-là à l'apport de l'occident à l'orient, il réalise tout l'apport possible de l'orient à l'occident. "Dois-je avaler, se dit-il, toute la théologie présentée au monde comme étant le christianisme ? Ou y-a-t-il quelque chose de plus simple ? Il expose son problème dans la prière et, raconte-t-il, "la réponse que je reçus fut que, si j'aimais mon Dieu avec tout moi-même et si je servais l'homme comme mon frère... je serais assuré d'hériter la vie éternelle. Jésus n'est pas une proposition à croire. Le christianisme est quelqu'un à aimer."

Il crée alors l'Eglise de la Nouvelle Dispensation, c'est à dire d'une nouvelle ère de salut pour l'Inde, "un nouveau développement des dispensations passées". Le salut semble pour lui un accomplissement plutôt qu'une réparation. Il se réalise, non par "une machinerie sophistiquée" (les églises), non par une "volumineuse théologie", mais par un pouvoir. En effet, la parole de Dieu est avant tout un pouvoir, non une matière à réflexion et à débat. Puis Sen progresse vers une adhésion de plus en plus précise au Credo chrétien. Il ira jusqu'à donner à l'une de ses dernières conférences l'intitulé suivant : "Ce merveilleux mystère : la Trinité."

Comme beaucoup d'indiens, il meurt de diabète, le 8 janvier 1884.

Yvon

2.6. Sen et Jésus

Parmi les célèbres conférences que donna Sen dans le grand hall de Calcutta, il en est une qui causa bien des remous. En effet, lui qui était d'origine hindoue ne fit rien de mieux que de l'intituler : "Ce merveilleux mystère, la Trinité" !

Jésus avait toujours été pour lui un personnage incontournable. Vers la fin de sa vie, il explique donc ce qu'il en a compris. Il estime que Jésus est d'abord et avant tout Fils et que, de tout temps, il vit d'une relation étroite avec un Père. Tous deux "irradient l'un vers l'autre" et "se perdent dans l'éblouissante splendeur de l'UN suprême ». Cette relation est structurelle et inamovible. Autrement dit : jamais le Fils ne se métamorphosera en Père. A ce niveau interpersonnel, ils sont irrémédiablement distincts. L'unité divine est habitée par une dualité indestructible. Un et Multiple s'y rencontrent sans s'annuler.

Jésus est aussi le Ressuscité. Sen se démarque ici de certains courants religieux asiatiques en précisant que la Résurrection n'est pas immersion dans le Divin au prix de la disparition de l'humanité de Jésus. Celui-ci est toujours avec Dieu "comme son fils humain". "Je vais à mon Christ pour apprendre ce que doit être un fils. Dieu m'enseigne la divinité. Le Christ m'enseigne l'humanité.

Qu'est-ce que le christianisme, sinon la religion de l'humanité ? Ou même le culte de l'humanité ?" En vénérant le Christ, nous rendons un culte à un frère, étrange culte ! "C'est la gloire du christianisme qu'il ne soit pas seulement la religion de la divinité mais aussi et, éminemment, la religion de l'humanité."

K-C Sen a joué un rôle capital dans le réveil de l'Inde au XIXème siècle. Il a tenté une synthèse Hindouisme-Christianisme.

2.7. Le Diamant Eternel

"Trouver le Christ, c'est trouver le principe harmonisateur qui réduira le chaos du réel pour en faire un cosmos. Il est le libérateur de toute crainte parce qu'il est l'amour parfait, la vie de notre vie, l'œil derrière nos yeux, le cœur derrière nos cœurs, l'âme derrière nous-même.

Il est conscience dans nos corps ; dans sa lumière nous voyons la lumière.

En nous tournant vers lui, nous percevons le meilleur et le plus élevé. Il est le miroir sans tache et l'image de Dieu. Il est le réformateur social et le patriote qui pleure sur son pays. Il est l'ami du pauvre et celui qui libère des mains de l'agresseur.
Il est le puissant ami de la prostituée dans sa dégradation, aussi bien que « du basse-caste » et du prisonnier.

Il est toute chose pour tous les hommes, un ami proche et pourtant un profond mystère. Son universalité et son attrait pour les hommes sont étonnants. Il est LE DIAMANT ETERNEL SUR LA COURONNE DE LA VIE, offrant ses mille facettes aux regards des humains."

Vengal Chakkarai (1880-1957)

Chakkarai était un indien chrétien engagé social. C'était un homme de loi. Il fut maire de Madras. Il était une figure de proue du mouvement "Repenser le Christianisme en Inde".

2.8. Tolérance spirituelle

La quête actuelle d'intériorité nous présente une gamme d'attitudes situées entre deux pôles extrêmes :

Une étanchéité excluante.

Ce sont les groupes les plus repérables. Leurs membres se méfient d'un monde trop mobile, trop complexe et donc insécurisant. Ils le ressentent comme instable ou dangereux, voire même satanique. Ils se blottissent dans un monde à part, loin du tourbillon d'un temps qui court plus qu'il ne passe. L'immobilisme les rassure en atténuant leur sentiment de vulnérabilité dans une société où tout peut être remis en cause, où rien ne va plus de soi.

Face à l'incertitude et à l'anxiété, ils choisissent une microsociété hermétique qui propose de l'intangible et de l'identitaire clairement cadré. Il y a ici recherche de refuge et de structure abritant une spiritualité asilaire. Ainsi en va-t-il des sectes, de courants traditionnalistes ou de certains évangéliques, lesquels peuvent, d'ailleurs, inciter, fort à propos à un retour vers l'essentiel de la tradition chrétienne.

Une porosité incluante.

On ne rejette plus, on absorbe. Non plus le hérisson mais le baba ! Non seulement tout est connecté, mais tout est en tout et tout est tout. Un unanimisme sympathique mais loin de toute rigueur et du respect de l'originalité de chacun. Il y a là un vrai risque de dispersion avec choix de la facilité au mépris d'assertions sérieuses et fondées.

Tolérance ou relativisme ?

Le premier type de groupe tend, bien sûr, vers l'intolérance. Un regard superficiel classerait le second dans le camp de la tolérance. Or le rejet d'autrui est commun aux deux tendances car l'inclusivisme absolu est une forme dissimulée d'intolérance. Elle est faite d'indifférence, de non-respect de l'autre, voire d'affirmations fausses sur le point de vue de courants qui se veulent différents. On s'affiche "ouvert" tout en proclamant bien allègrement que "tout est pareil".

Ce relativisme tue le dialogue et l'avancée de la recherche en niant l'intellect, les divergences et, au fond, en appréciant tout à la mesure de soi-même. La démarche de porosité court donc le risque de rejoindre l'aspiration sécuritaire de groupes apparemment plus "étroits" en éliminant toute altérité dérangeante. En somme, dans les deux cas, le dialogue est brouillé par carence d'autres.

Yvon

2.9. Accueil ou relativisme ?

Il existe bien des regards possibles sur une réalité identique. De là sont nées les multiples disciplines actuelles ainsi que la pratique de la pluridisciplinarité. Mais la recherche du confort psychologique peut conduire à se simplifier la vie en réduisant toutes les perspectives à une seule : la sienne.

Voyez-vous, dit-on, l'intellect nous complique la vie alors que l'essentiel des expériences humaines reste strictement le même. Mais, par exemple, la croyance en une existence purement fantomatique du monde génère-t-elle la même posture que l'adhésion à sa réalité ferme et solide ?

Une des choses les plus extraordinaires que j'aie entendues provenait d'un bouddhiste. Il présentait sa voie à un groupe de soignants hospitaliers. Il affirmait et répétait à plusieurs reprises, que le bouddhisme n'était qu'une couche
de peinture plaquée sur une réalité plus essentielle. Je n'en croyais pas mes oreilles ! Le Bouddhisme : un enduit ? un ravalement ? !

Quand d'autres personnes exposent la voie qui est la mienne, je découvre combien d'erreurs, de clichés, d'éléments dépassés elles véhiculent. A commencer par l'existence historique d'Adam et Eve dont les spécialistes nous disent depuis 80 ans qu'ils sont à comprendre à l'intérieur du genre littéraire de leur récit : un mythe. Leur sens est vrai en tant que personnages mythiques. Ils disent des choses sur l'humanité. Mais les croire historiques revient à croire que les animaux des fables de La Fontaine ont réellement parlé ! Ils assènent cependant quelques bonnes vérités...

Lorsque quelqu'un reconnaît plusieurs perspectives possibles, il est dans un esprit de relation, de relativisation et non de relativisme. Il a tendance à respecter les points de vue différents du sien et à prendre le temps de les examiner pour, éventuellement, en tenir compte.

Celui qui réduit tout à un soi-disant dénominateur commun risque fort d'éliminer la richesse proposée par d'autres angles de vue. Il se simplifie la vie par la sécurité où l'établit une vision unilatérale et simpliste. C'est alors le décès de toute recherche, par la mort (en fauteuil !) de tout questionnement.

Yvon

2.10. Religions connues ou quêtes récentes ?

Au fond, les nouvelles quêtes spirituelles posent aux religions traditionnelles la question suivante : votre tradition possède-t-elle encore des capacités de renouvellement ? Où en est sa vigueur ? Pour reprendre des termes de Sri Aurobindo, n'est-elle pas devenue "inerte" et "obscure", "peu disposée à s'élargir", "récalcitrante aux nouveaux stimulants, conservatrice et immobile". Par exemple, que pensez-vous du remplacement de "Royaume des Cieux" par "Nouvel Age" dans un dictionnaire de théologie biblique en langue anglaise ?

Pour être fidèle à ses sources, l'adepte de la Bible ne peut qu'accorder une importance majeure à l'invention d'un avenir. Alors, pourquoi ne transmettre qu'un passé antérieur et non un passé ultérieur, c'est à dire porteur d'avenir ? "L’homme, a-t-on dit, est une "incarnation de l'avenir".

Cela suppose un homme augmenté par une Energie puissante venue d'ailleurs. Tout est énergie : voilà une constatation propre à beaucoup de recherches de sens actuelles. Elle peut rassembler dans une même adhésion et surtout dans une même œuvre, au service de l'humanité. C'est un peu comme s'il existait une Force Fondamentale se ramifiant en de multiples courants spécialisés en divers domaines.

Cela rencontre l'expérience du Souffle décrite dans bien des traditions sous diverses dénominations. Ce peut être l'Esprit-Saint de l'évangile qui transforme ceux qu'il contacte et les rend méconnaissables. Il ne suffit pas de proclamer un monde nouveau. Il s'agit aussi de fournir un moyen d'y parvenir. Et un moyen proportionné à l'importance du résultat souhaité.

Yvon

2.11. Ce que j’ai reçu des Nouvelles Quêtes Spirituelles

A travers balbutiements et maladresses, les nouvelles spiritualités me disent d’abord ceci : « réveille-toi, nous entrons en métamorphose ; l’homme ne sera pas toujours l’homme ; sa vie, même spirituelle, ne peut plus être ce qu’elle était ». Parmi les citations placées par Edgar Morin en exergue à son dernier ouvrage - La Voie (2011) – vous trouverez celle-ci : « Nous continuons de chercher des dépanneurs de la planète Alpha, alors que nous sommes sur la planète Bêta ».

J’ai découvert ces perspectives originales au cours des années 80. Je les ai alors spontanément rapprochées de l’enseignement visionnaire de Sri Aurobindo (1872-1950) ; il prophétisait, lui aussi, un nouvel âge de l’humanité. Il m’a alors semblé qu’une bonne part de ce que je lisais ou entendais ici et là n’était qu’une recherche maladroite de ce qu’il avait déjà exploré et mis en forme. Comme me le dira plus tard un sociologue canadien, « Sri Aurobindo est un père ignoré du Nouvel Age ». Deux phrases de lui m’ont particulièrement frappé : « Nous ne sommes pas là pour répéter les vieilles promenades » et « Nous ne sommes pas faits pour les aurores d’hier mais pour les midis resplendissants de demain ». J’étais ainsi préparé à accueillir le « nouveau paradigme » avec, en même temps, quelque recul critique. Plus récemment paraissait un ouvrage collectif intitulé : « Prospective d’un monde en mutation » (2010). Son introduction est étonnante : elle ne compte que deux citations, l’une de Sri Aurobindo, l’autre de Teilhard de Chardin, c'est-à-dire de deux « évolutionnaires ».

A un moment où l’homme est en perte d’espoir parce qu’en panne d’avenir, le meilleur des nouvelles spiritualités peut redynamiser l’atmosphère. Elles invitent à reformuler l’affirmation désormais acquise « les utopies ont déçu », en la complétant ainsi : « les utopies horizontales ont déçu ». Autrement dit, est-ce l’utopie en soi qui est contestable ou est-ce le fait qu’elle ne se soit pas donné le moyen de se réaliser ? Les utopies « plates » (Scientisme, Progrès, Marxisme) ont peut-être déçu par manque de transcendance. Ne pourrait-on pas se lancer maintenant dans une utopie redoublée, c’est à dire incluant à la fois une vision audacieuse de l’avenir et une aide surnaturelle apte à le réaliser ? Beaucoup de “nouvelles croyances” font appel à une transcendance. « Le naturel est surnaturel et le surnaturel est naturel » écrivait déjà Marilyn Ferguson en 1980. Et, aujourd’hui, le philosophe intégraliste américain Ken Wilber se montre très sévère envers ceux qui suppriment de fait la transcendance en la réduisant à l’humanité. Selon lui, en prétendant ainsi promouvoir l’homme, on le tue ; on lui arrache l’essentiel, sa part divine. Et certains qualifient de « noyau dur » particulièrement significatif des nouvelles croyances, ceux des créatifs culturels qui, justement, font la part belle au spirituel.

Ce qui m’intéresse aussi dans les nouvelles quêtes spirituelles, c’est qu’elles invitent à un changement de conscience qui n’est pas sans rapport avec la conversion évangélique. Ces courants actuels soulignent l’inachèvement de l’homme et ils y discernent la source capitale du malaise humain.

Voilà qui renvoie le chrétien à sa conception du salut. Si l’on demande à un membre des nouvelles mouvances : « De quoi sommes-nous sauvés ? », il répondra en substance : « De notre inachèvement, de nos limites, de la souffrance de ne pas être encore nous-mêmes ». Et à la question « En vue de quoi sommes-nous sauvés », il répondra : « En vue de notre plénitude et de notre divinisation ». En effet, il ne s’agit pas tant ici de réparer l’humanité que d’innover en humanité. Quelles conséquences sur nos perspectives chrétiennes ?

Et la vie spirituelle ? Elle ne relève plus d’un vertical céleste s’unissant à un horizontal terrestre. Certes, les deux se combinent, mais dans un élan évolutif et collectif. Unis dans ce même mouvement en avant, le vertical et l’horizontal se muent en une seule oblique ! Ce terme teilhardien signifie que la vie intérieure individuelle conditionne l’avancée de toute la collectivité humaine actuelle. Ainsi l’homme d’intériorité devient porteur et responsable de l’évolution humaine dans son ensemble, une sorte d’évoluteur solidaire. Et si le grand mystique, riche de facultés hors du commun, était à la pointe avancée de l’humanité ?

J’ai aussi adopté la vision de l’homme que beaucoup de ces groupes ont héritée de l’Asie. Elle n’est pas nouvelle à strictement parler mais son expansion actuelle est bel et bien sans précédent. Cette anthropologie me semble à la fois fine et pratique. Elle se présente comme un ensemble de niveaux de conscience liés à telle ou telle région du corps. Elle permet aussi de mieux percevoir les réactions énergétiques à l’intérieur de soi. Chacun ressemble à un pays dont chaque région possède ses propres caractéristiques, tout cela ne marchant pas obligatoirement au même pas. Mais existe-t-il un « je » unificateur de tout cela ? Si oui, quel est-il ? Le je natif de la carte d’identité ? Le Moi divin ? Le Je christique ressuscité ? Quant à la conception holistique, elle m’a invité à une perception plus globale des personnes et des situations. Tout me semble plurifactoriel et donc difficile à saisir dans sa richesse et sa complexité. De son côté, la réincarnation évoque la possibilité d’une évolution post mortem, à la manière d’un purgatoire vu comme zone de progression, sans retour sur terre. Enfin, l’importance donnée au corps, et parfois à sa transformation radicale, renvoie à la question : « Mais qu’est-ce donc qu’un corps ressuscité ? ». En somme, il me semble que tout ce mouvement, malgré bien des lacunes, peut redonner espoir.

Mais il doit se montrer davantage soucieux de rigueur, que ce soit au niveau de la science, de l’histoire ou de la lecture de textes. Car, ici, la fantaisie abonde. Et enfin, on voit bien que le disciple contemporain de Jésus se heurte à l’interrogation suivante : « Est-il possible de suivre le Christ en adoptant une nouvelle vision de l’homme ? ». Autrement dit, comme l’avait demandé le théologien R. Panikkar à Paul VI : « Pour être chrétien, faut-il être intellectuellement grec et spirituellement sémite ? ».

Yvon

2.12. Nommé/Innommé. Merveilleux Tao

La Voie du Ciel, selon le Tao Te King, est limpide et subtile comme l'air ensoleillé. Mais au non initié elle demeure aussi nébuleuse que le saint. C'est qu'il est difficile de discerner l'invisible par-delà le visible. Et la Voie du Ciel se tient plus haut que le ciel même, qui se règle sur elle.

Exposer la Voie requiert d'arracher l'homme aux perceptions communes : que son intellect s'égare donc dans l'inattendu du paradoxe ! Ainsi brisé, le chercheur sera conduit plus loin que la parole, jusqu'à l'innommable. Parti du distinct manifesté, il pénètrera dans l'indistinct non manifesté. Là, il se maintiendra dans une communion intime avec la vie universelle : il s'y alimentera de son courant constant, délivré du retour sur soi spéculatif qui gauchit et brise même la réalité.

Dans le langage de la manifestation, le mode idéal d'expression du réel est le couple. Il ne fausse pas la réalité sous le prétexte sécurisant d'une unification des inconciliables. Il ouvre sur l'au-delà : la Voie, innommable et généreuse, a donné vie au couple ciel-terre. Ce souffle fondamental a lui-même soufflé tous les êtres humains. De "l'innommé" provient "le nommé" ; du "n'ayant pas" provient "l'ayant". Son altérité essentielle fait que le couple ciel-terre "demeure à jamais" parce que chacun des deux éléments vit pour l'autre.

Partant de l'insondable pour descendre dans le manifesté et retourner à l'insondable, le premier chapitre du Tao Te King épouse le mouvement même de l'univers. Il énonce ce qu'est le monde dans son essence tout en indiquant un chemin vers ses profondeurs. Il est à la fois métaphysique, éthique et normatif. La conduite de l'homme y provient d'une conformité à l'Être même du cosmos. Elle ne saurait être soumission servile à une loi artificielle.

Vivre dans la constance radicale de l'univers c'est vivre vraiment.

Etabli dans cette ferme quiétude, le saint sourit.

Yvon